Compagnie aime l'air

Livre MegaOctet Verbateam. Photo ad/ch 2019
A l'occasion des 30 ans de la Compagnie aime l'air, PPAF éditions s’est lancé dans un projet éditorial singulier « MegaOctet Verbateam », mêlant graphisme, musique et témoignages. À travers un livre-objet conçu comme une partition visuelle, le duo derrière PPAF a cherché à retranscrire autrement l’énergie du MégaOctet, groupe emblématique d’Andy Emler. Entre exploration graphique et immersion sonore, Adrien Chacon et Julien Molland reviennent ici sur leur processus de création, le choix du leporello et la façon dont le papier, l’encre et la typographie deviennent à leur tour des instruments d’interprétation.

Comment s'est passée la rencontre avec Andy et comment est née cette idée de livre ?"

Adrien Chacon : C’est Camille Janodet (grand merci à elle !) qui a eu l’idée d’impliquer PPAF éditions dans ce projet de livre célébrant les 30 ans de la Compagnie Aime l’Air.
Andy a immédiatement été à l’écoute de nos propositions et de notre regard sur le MégaOctet.
Il était essentiel pour nous de trouver notre propre espace d’expression, d’adopter une certaine vision et une écoute particulière de ce projet musical, et enfin de raconter, à notre manière (graphiquement), une histoire de sons, de camaraderie et de recherche musicale.
J’aime à penser que cet accueil généreux s’apparente à l’idée de laisser une place aux solistes dans une composition musicale.
Avant ce projet, je ne connaissais pas le MégaOctet. Ce fut un bonheur de découvrir – notamment en live – cette musique à la fois généreuse, drôle et savante.

Julien Molland : Andy nous a accueillis tel qu’il est dans la vie : simple et à l’écoute, curieux de notre travail de poésie visuelle et ouvert aux propositions.  
Ce qui était surprenant, c’est qu’Andy souhaitait réaliser un livre plutôt qu’un disque pour les 30 ans du MégaOctet – un défi enthousiasmant pour nous. Comme Adrien, j’ai découvert les musiciens du Méga lors de cette collaboration, et leur musique nous parlait dans tous ses aspects.  

Quel a été le point de départ du travail : comment avez-vous imaginé l'objet ? Quelles ont été les discussions autour du cheminement ?

AC : Comme toujours chez PPAF, le processus a été long, fait de tâtonnements et de discussions entre Julien et moi. Nous partons souvent d’une envie de formes graphiques et d’objets qui nous racontent quelque chose et que nous nous partageons.
Pour retranscrire cet entretien presque démesuré de trois heures entre une dizaine de personnes, il nous fallait parler de musique avec notre vocabulaire graphique : lignes, couleurs, lettres, façonnage, papier et encre.
Le champ musical est en effet très riche visuellement : les pistes des solistes dans le studio d’enregistrement, les ondes sonores, les vibrations, les notes des partitions, mais aussi la profondeur de l’espace où se déploie la musique…
Dans ce projet, nous voulions également que le texte devienne un élément rythmique à part entière. Il nous a donc semblé important d’intervenir sur la typographie, de la rendre parfois illisible, pour inviter à une lecture différente, plus sensorielle.

JM : Notre filiation directe avec le lettrisme et la poésie concrète fait de l’expérimentation un moteur essentiel de la création. Ouvrir et défricher de nouveaux chemins son/graphie est un terrain de jeu jubilatoire. Pour cela, il nous fallait une matière de départ. Plusieurs pistes ont été explorées : les carnets de notations d’Andy, le sound painting… C’est finalement le verbatim d’une discussion entre les membres du Méga qui a servi de point d’ancrage.  

Le choix du leporello : comment s'est-il imposé ? Pourquoi un format "non conventionnel" ? Il y a dans cet objet quelque chose de la tapisserie de Bayeux.

AC : Au fil de nos recherches, nous avons rapidement découvert les magnifiques partitions graphiques du compositeur anglais Cornelius Cardew, avec leurs longs leporellos de lignes géométriques si sonores.
C’est ainsi qu’est née l’idée de faire de cet entretien une partition à réinterpréter, aussi bien par le lecteur que, pourquoi pas, par un musicien.
Si le registre est bien éloigné de celui de la tapisserie de Bayeux, il y a néanmoins un point commun : celui de dérouler une histoire plutôt que de la séquencer en pages.

JM : En complément de nos connaissances sur les partitions graphiques, c’est la structure même du verbatim et sa transcription « mot à mot » qui nous ont guidés vers le Leporello. Chaque musicien ayant sa propre ligne d’enregistrement, comme les instruments lors d’une séance en studio, la conversation s’étirait sur une longue bande de papier.  
De plus, le Leporello, en papier épais et plié en accordéon, évoque les cartons à musique des orgues de barbarie. Il constitue aussi, dans l’objet final, un contrepoint au livret des témoignages, réalisé en papier très léger, quasi-transparent.  Rien de Bajocasse dans ce Leporello ! ;)  

Pouvez-vous expliquer la méthode de travail appliquée pour la transcription graphique des témoignages ? Comment s'est articulé le dialogue entre les formes et les signes ?

AC : Derrière cette partition, il y a l’idée d’une retranscription qui ne concerne pas seulement les voix à travers le texte, mais aussi l’ambiance sonore de l’enregistrement initial.
Les courbes s’étirent dans les silences et se contractent dans les événements sonores : exclamations, tintements de verre…
Ainsi, les bulles de texte sont accompagnées, en trame de fond, par la restitution graphique de cette ambiance sonore. Nous avons dû écouter l’enregistrement à de multiples reprises pour l’interpréter graphiquement et retranscrire cette richesse sonore.

JM : Nous avons mis en place un processus de classification des sons : ample (brouhaha de discussion), aigu (rire), sourd (porte). À ces catégories, nous avons appliqué différents outils graphiques afin de faire varier les lignes.  
Les courbes traduisent ainsi les variations de l’atmosphère et de l’environnement de la discussion.  
Les textes des dialogues et témoignages sont parfois « traduits » en panse et en fût du corps typographique. Le fût correspond au trait vertical principal d’une lettre, tandis que la panse désigne la partie renfermant une contre-forme.  
C’est une manière graphique de percevoir le rythme d’une lettre et de transformer un texte en partition visuelle. Cela permet aussi de marquer plus significativement les « blancs », ces instants de pause et de silence, en les intégrant à la composition comme on insère un soupir ou un bâton de pause en notation musicale.  

Il y a également un jeu sur la texture du papier et la transparence. Est-ce une façon de "transcrire" le son ?

AC :Les sons produits par les mains sur le papier, la blancheur ou la transparence des pages, la teinte des encres et leur répartition dans l’espace blanc… Tout cela participe d’une forme de musicalité du livre et du graphisme.
La transparence du papier du petit livret a joué un rôle clé : elle a permis d’apporter de la profondeur à la page et de créer des surprises visuelles, avec des apparitions et disparitions de formes.
Cette profondeur de la page fait écho à la musique elle-même, un phénomène qui se déploie dans l’espace en trois dimensions.

JM : Cette transparence, qui fait naître un dialogue visuel entre les pages, évoque également la superposition sonore des différents instruments sur scène – par exemple, lorsque le marimba converse avec la batterie et la trompette.  

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